La Ministre des Droits Humains de la RDC fait le distinguo entre l’organisation des élections et les violences au Kasaï

Au cours du débat interactif qui a suivi les exposés ce mardi à la plénière du Conseil des Droits de l’homme des Nations Unies, à Genève, plusieurs délégations se sont exprimées sur le cas de la République démocratique du Congo, concernant la proposition de l’assistance technique et du renforcement des capacités en matière des droits de l’homme.

Ainsi, Madame Marie-Ange Mushobekwa-Likulia, Ministre de Droits humains de la République démocratique du Congo a précisé que sa présence à cette 35e session du Conseil traduisait la volonté de son pays de poursuivre sa collaboration avec le Haut-Commissariat dans la protection et la promotion des droits de l’homme.

Contrairement aux affirmations sans fondement avancées par certains pays depuis le début de cette session, a affirmé Mme Mushobekwa-Likulia, il n’y a aucun lien de cause à effet entre la situation sécuritaire dans les provinces du Kasaï et le processus électoral en République démocratique du Congo (RDC).  Toutes les sources crédibles indiquent que la milice de Kamwina Nsapu a commencé ses opérations en juin 2016, avant les élections de novembre, et sur la base de revendications coutumières, a-t-elle précisé.

Aucun pays n’accepterait qu’un groupe de miliciens ou de terroristes recrute des enfants, les drogue, les pousse à incendier tous les bâtiments publics et à commettre des meurtres sur des civils innocents qui résistent à son idéologie destructrice, a dit la Ministre.  Justifiant la réaction de l’armée, la Ministre a reconnu cependant que certains militaires indisciplinés avaient ouvert le feu sur des civils innocents dans des villages du Kasaï.  Le Président Kabila a demandé à la Ministre de la justice de prendre des dispositions pour que des enquêtes soient ouvertes et que justice soit rendue.

La Ministre a déploré le meurtre des deux experts des Nations Unies le 12 mars 2017 dans la province du Kasaï central, dont les auteurs identifiés sont des hommes de Kamwina Nsapu.  Une enquête a été menée par la justice militaire congolaise avec l’appui de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) et du Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme (BCNUDH).  Le procès des personnes arrêtées pour ce meurtre a débuté le 5 juin 2017.  Justice sera également rendue aux 1333 civils et 289 policiers tués à ce jour, a ajouté Mme Mushobekwa-Likulia.

S’agissant des fosses communes que la MONUSCO et le BCNUDH auraient localisées, cela fait plusieurs semaines que la République démocratique du Congo demande aux équipes de la MONUSCO se trouvant à Kananga d’effectuer une mission conjointe avec la justice militaire congolaise, a indiqué la Ministre.  Elle a ajouté que «la triste vérité est qu’on cherche les fosses communes partout, sauf là où elles pourraient exister réellement », mentionnant les Tshiota, lieux d’initiation de Kamwina Nsapu connus pour être «de véritables boucheries humaines ».  La République démocratique du Congo demande au Haut-Commissariat de traiter cette affaire avec impartialité, sans pression et sans interférences politiques.

La Ministre a conclu en déclarant que le Gouvernement de la République démocratique du Congo réitère solennellement sa volonté de poursuivre sa collaboration avec l’ONU et accepte d’accueillir une équipe d’enquêteurs, venant en appui à la justice congolaise, dans le but de faire la lumière sur les atrocités du Kasaï.

Marie-Ange Mushobekwa, Ministre des Droits humains de la RDC. image le club de Mediapart

De son côté, M. ZEID RA’AD AL HUSSEIN, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a rappelé qu’à la session de mars de Conseil il avait fait part de sa profonde inquiétude face aux graves violations des droits de l’homme commis par l’armée et la police congolaises et par la milice de Kamwina Nsapu dans le Kasaï central et oriental.

Lorsque deux experts des Nations Unies ont été tués dans cette région, le Ministre des droits de l’homme de la République démocratique du Congo a appelé à une enquête conjointe pour en traduire les responsables devant la justice.  Depuis lors, la situation humanitaire et en matière des droits de l’homme s’est fortement détériorée.  Plusieurs intervenants semblent alimenter la haine ethnique, ce qui conduit à des attaques extrêmement graves, de grande ampleur et apparemment soigneusement planifiées contre la population civile dans les Kasaïs.  Compte tenu de la gravité des allégations reçues et de la restriction de l’accès à certaines régions du Grand Kasaï, le Haut-Commissariat a déployé une équipe afin d’interroger des réfugiés du Kasaï : leurs témoignages sont glaçants, a dit le Haut-Commissaire.  M. Zeid s’est dit sidéré par la création de la milice armée Bana Mura, pour appuyer les autorités dans les hostilités contre la milice Kamwina Nsapu, qui a commis des actes épouvantables contre les civils des groupes ethniques Luba et Lulua.

Le Haut-Commissaire a condamné les nombreuses violences auxquelles la population est soumise dans l’indifférence de la communauté internationale.  Quarante-deux charniers ont été repérés dans les Kasaïs.  Il pourrait y en avoir davantage, a déclaré M. Zeid, expliquant que des réfugiés avaient dit à l’équipe du Haut-Commissariat qu’ils avaient été obligés d’enterrer d’autres morts dans des fosses communes.  D’autre part, 1,3 million de personnes ont fui à l’intérieur de la République démocratique du Congo, plus de 30 000 réfugiés sont enregistrés en Angola, des centaines d’autres y arrivant chaque semaine, signe que les atrocités n’ont pas cessé.  Le Haut-Commissaire a saisi l’occasion pour remercier les autorités angolaises pour leur assistance et les efforts incessants des médecins et infirmières de ce pays pour sauver la vie de personnes gravement blessées.  Il est du devoir des autorités,

de la police et de l’armée congolaises de protéger la population, a dit M. Zeid, regrettant qu’à cette date le Gouvernement congolais ne se soit pas acquitté de cette obligation de protection.

Dans d’autres parties du pays certains progrès ont été accomplis mais cette volonté politique n’est pas manifeste dans le Kasaï.  Le Haut-Commissaire a prévenu que cette région risquait de devenir une zone de « feu à volonté » : sur les 5190 violations des droits de l’homme répertoriées l’année dernière, plus de 64% ont été commises par les forces armées et de police dans le Kasaï.

Le Haut-Commissaire a exhorté le Conseil à déployer une enquête internationale indépendante sur la situation des droits de l’homme dans les Kasaïs, en coopération avec les autorités congolaises, le Haut-Commissariat et d’autres institutions des Nations Unies.  M. Zeid a indiqué que l’enquête internationale pourrait établir les faits, déterminer les responsabilités individuelles et favoriser la traduction des auteurs des atrocités devant les tribunaux.  Le Haut-Commissaire demeure également en contact avec la Cour pénale internationale.

Ce à quoi, la ministre congolaise a rétorqué : « qu’il n’existait aucun lien entre les atrocités au Kasaï et la non-organisation des élections législatives et présidentielle en novembre 2016.  Tout démontre que la milice Kamwina Nsapu a commencé ses opérations en juin 2016 sur la base de revendications coutumières, a souligné la Ministre.  Par ailleurs, tous ceux qui se sont rendu coupables de bavures parmi les forces de sécurité seront punis »

Le débat interactif a démontré la différence d’approche du problème congolais par les pays occidentaux et africains : L’Égypte a encouragé le Gouvernement congolais à ses engagements, notamment la création des mécanismes de justice nécessaires pour enquêter sur les violations des droits de l’homme.  Il s’agit d’abord d’épuiser les recours à travers ces mécanismes nationaux avant de prendre d’autres mesures, a recommandé l’Égypte.  L’Algérie a également salué les mesures entreprises afin de traduire en justice les responsables des graves violations des droits de l’homme, entre autres à travers la Commission d’enquête créée dans cet objectif.

L’Angola a exhorté les autorités congolaises à poursuivre leurs efforts afin d’éviter une escalade de la violence, qui pourrait déstabiliser toute la région.  Le Gouvernement angolais a accueilli des réfugiés mais ne pourra assumer seul la charge d’un flot quotidien.  Aussi a-t-il demandé une aide humanitaire à la communauté internationale.  Il a aussi appelé le Haut-Commissariat et la communauté internationale à répondre positivement à la demande d’aide matérielle et logistique de la République démocratique du Congo.  Le Botswana a espéré qu’il serait possible, par le biais de la coopération internationale, de renforcer la protection des droits de l’homme en République démocratique du Congo.  Il s’est dit encouragé par l’engagement du Gouvernement à mener des enquêtes et à travailler avec le Conseil des droits de l’homme.

Le Togo s’est dit vivement préoccupé par la situation humanitaire dans le Kasaï et a rappelé qu’il incombait à chaque État de veiller à la protection de la population civile.  Il s’est félicité des mesures diligentes prises par le Gouvernement pour enquêtes sur les abus commis, avec l’assistance de la MONUSCO.  Le Soudan a salué les efforts du Gouvernement congolais visant à diligenter des enquêtes sur les violations des droits de l’homme, ainsi que la mise en place d’une commission nationale.  Le Mozambique a dit sa préoccupation face aux atrocités commises par la milice de Kamwina Nsapu, en particulier les décapitations et exécutions sommaires.

Le Burundi a regretté que les efforts du Gouvernement pour mettre fin à la crise dans le Kasaï et dans d’autres régions soient passés sous silence par le rapport.  Il a également regretté que des crises soient enclenchées dans des États par ingérence dans leurs affaires intérieures.  Il a dénoncé, dans le cas de la République démocratique du Congo, la politisation des droits de l’homme par le Conseil.

La Chine a pour sa part salué les efforts fournis par les parties concernées pour la mise en œuvre de l’accord politique, espérant qu’elles pourront résoudre leurs différends par le dialogue et la négociation.

Le Venezuela a appelé la communauté internationale à assister la République démocratique de Congo qui subit les effets à retardement d’une longue période de conflit.  Il s’est félicité du processus de consultation qui a permis de convenir de la tenue d’élections et encouragé la communauté internationale à fournir son assistance tout en respectant la souveraineté et l’intégrité territoriale de la République démocratique du Congo.

La lutte contre l’impunité est une condition pour mettre fin aux violences et organiser des élections, a expliqué la Belgique.  La France a condamné fermement les violences et violations des droits de l’homme commises par toutes les parties dans les Kasaï depuis août 2016.  Ces violences, dont certaines pourraient constituer des crimes de guerre, ont conduit au déplacement de 1,3 millions de personnes alors que plus de 30 000 ont fui vers l’Angola, a souligné la France, qui a rappelé la responsabilité première des autorités pour le respect des droits de l’homme et la protection des populations.  Elle a appelé les autorités congolaises à prendre toutes les mesures à cette fin, y compris en travaillant en étroite collaboration avec les Nations Unies.  La France a en outre souhaité qu’une résolution robuste soit adoptée à cette session du Conseil autorisant l’envoi d’une enquête internationale pour faire toute la lumière sur les violations graves, notamment sur l’existence de plus de 40 fosses communes, en coopération avec les procédures initiées par les autorités congolaises.

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